Le Voyant, Jérôme Garcin,
Gallimard, La blanche,
Janvier 2015, 192p.
Pas vraiment un roman, plutôt un récit biographique qui nous raconte la vie et l'oeuvre de Jacques Lusseyran. Cet homme de lettres, devenu aveugle suite à un accident à l'âge de 8 ans, qui s'engage dans la Résistance dès la défaite de la France, arrêté par la Gestapo en 1943. Au retour de sa déportation à Buchenwald, il se met à écrire, puis quitte la France pour les Etats-Unis où il enseigne la littérature française, avant de mourir tragiquement à l'âge de 47 ans dans un accident de voiture sur une route de France, près de son village d'origine.
Voilà un résumé très rapide de la vie de Jacques Lusseyran, que je ne connaissais pas du tout. Jamais lu, jamais entendu parlé de lui, et pourtant il a côtoyé les plus grands noms de la Résistance, mais aussi de la littérature et des arts de l'Après Guerre. Néanmoins, pas une ligne sur lui dans le dictionnaire.
Jérôme Garcin a donc voulu réhabiliter cette figure historique de la littérature française, mais aussi de la Résistance. Personnage qui semble avoir eu de l'importance dans la Résistance parisienne mais qui ne connu ni les honneurs, ni les médailles, et ne bénéficia d'aucun passe droit (l'Etat n'autorisait pas les manchots, cul-de-jatte et aveugles a passer les concours de la fonction publique, il ne put donc être professeur en France) à son retour de déportation. Il retrouvait, en sortant des camps, son statut d'handicapé, mais ne fut pas reconnu pour son parcours héroïque. C'est tout à l'honneur de Jérôme Garcin que de faire ce travail de réhabilitation sociale et historique de grande importance. Malheureusement je n'ai pas aimé la manière.
Je n'avais jamais lu Jérôme Garcin. Je ne connaissais pas son écriture. Est-ce toujours aussi pompeux?
Jérôme Garcin reproche à Jacques Lusseyran (un des rares reproches qui lui fait dans sa prose si peu neutre), d'avoir fait le panégyrique de Georges Saint-Bonnet (p143), et pourtant il semble se livrer au même exercice dans la rédaction de cette biographie. Tout y est élogieux. Jacques Lusseyran apparaît comme un grand héro, martyre oublié par l'Histoire de France. Ce pays pour lequel il a donné sa vie. Jérôme Garcin ne prend pas assez de recul, comme aveuglé par la grandeur de l'aveugle dont il nous narre l'histoire. Quand il parle de ses frasques avec les femmes, jamais il ne le juge, jamais il ne critique. Quand il parle de son admiration pour le gourou Georges Saint-Bonnet, il pense que Lusseyran était dans un état de faiblesse psychologique pour se laisser embobiner. Jamais il ne s'est trompé. Le fait que Lusseyran ait abandonné successivement ses enfants quand il changeait de femme? Le fait qu'il ne parle jamais d'eux? Juste "l'angle mort de sa vie" (p166). Et pourtant quand Jérôme Garcin parle des côtés positifs de Lusseyran, c'est avec emphase. Il ne cache pas sa grandiloquence, son admiration sans borne. Les termes sont élogieux.
Comme si plus qu'une biographie, il nous offrait une hagiographie.
Les jeux de mots sur sa cécité sont aussi légion dans le texte. Cet homme qui voit mieux que n'importe qui, qui vit son handicap comme une chance. C'est trop.
Trop aussi les listes d'auteurs et de philosophes lus ou donnés à étudier par Lusseyran. Garcin nous en colle des tartines (quand ce n'est pas en adjectif, juste pour l'exemple p178 "C'est un rituel olfactif, dont le centre éternel et irradiant est le jardin clos et giralducien de Juvardeil."). J'ai eu parfois l'impression que son style n'était qu'un exercice, voir même de la poudre aux yeux pour nous montrer toute l'étendue de ses connaissances littéraires. Personnellement j'ai fini par trouver ça trop prétentieux, pompeux, et agaçant.
De même que je me suis insurgée contre sa vision de la Shoah dans le cinéma américain (p93-94). Reprocher à Spielberg d'avoir filmer les camps d'exterminations dans La Liste de Schindler comme il a filmé Jurassic Park. Je ne suis pas d'accord avec cette critique. Reprocher à tous les cinéastes d'avoir "mis des images sur ce que même les nazis, soucieux de ne laisser trace de leurs crimes contre l'humanité, n'avaient pas voulu donner à voir", m'a révolté. Les nazis ont laissés des traces, photographies, images filmées, de leurs exactions et de l'extermination des juifs d'Europe. Nier l'existence de ces images reviendrait à ne pas porter foi en leur véracité. Et en cette année où l'on célèbre les 70 ans de la libération des camps, il est important de voir ces images pour se rendre compte des horreurs et ne pas les laisser se reproduire. Jérôme Garcin semble devenir aveugle comme son personnage. Il ferme les yeux.
Je n'ai donc pas aimé la forme. Mais j'ai tout de même aimé le fond. J'ai trouvé la vie de ce romancier raté, mais grand érudit, résistant, et professeur passionné de littérature passionnante. Il a eu un parcours tout à fait atypique. Ses réflexions sur la lumière intérieure sont tout à fait touchantes, et donnent à réfléchir sur la manière dont on voit le monde, et dont on ne prends plus le temps d'admirer les petites choses. Il rejoint aussi, un peu, les volontés actuelles de nombres de contemporains à méditer et faire l'exercice de l'introspection pour mieux appréhender et comprendre le monde qui nous entoure.
Vers la fin du livre, Garcin fait un parallèle entre le héro de son essai et son propre père:
"Une fois encore, une fois de plus, je pense à mon père, né à Paris quatre ans après Jacques Lusseyran, passé lui aussi par la khâgne de Louis-le-Grand, fou de littérature, amoureux de la langue du XVIIIe, éditeur accompli, mais écrivain empêché, dont la mort accidentelle en pleine nature, au printemps de 1973, à l'âge de quarante-cinq ans, dessine une ligne droite que je n'aurai jamais fini de vouloir prolonger dans des livres brefs peuplés de jeunes morts qui continuent de vivre, de lire, et d'écrire." (p 180). Et voilà, on comprends alors mieux le sens de ce livre. Ce n'est pas l'adulation de Jacques Lusseyran qu'il nous offre là, mais celle de son père. Cette figure paternelle qu'il idolâtre et qui est, dans son esprit, le miroir de ce héro de la Résistance.
Tu mets des mots sur ce que j'avais eu du mal à identifier. Mais en effet, il en fait beaucoup. Notamment les jeux de mots m'ont gênée également. Souvent en fin de paragraphe ou de chapitre, ils sont sensés nous émerveiller. Cependant, j'ai été assez émue du passage sur les dernières lettres des condamnés à mort.
RépondreSupprimerGlobalement, c'est quand même un exercice périlleux, qui a été beaucoup pratiqué dans la littérature cette année. Le mieux réussi reste "Charlotte".
J'aime beaucoup ta critique. Je suis en train de lire le livre, et pour l'instant je suis d'accord en tout point avec toi. Ceci dit, je prends plaisir à le lire, ne serait-ce que parce que la vie en elle-même de Lusseyran est intrigante. Il va être difficile pour moi de faire une critique qui apportreait d'autres éléments que la tienne!
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