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mardi 31 mars 2015

Les Morsures de l'ombre

Les Morsures de l'ombre, 
Karine Giébel,
Pocket, Septembre 2009
320p.

Le 7 mars dernier Karine Giébel était présente à la librairie Au Vent des Mots de Lorient pour une dédicace. J'avais un peu honte de ne l'avoir découverte qu'en 2012 pour son roman Juste une ombre (un thriller qui m'a tenu en éveil dans des nuits blanches). Alors je lui ai demandé, parmi ses anciens romans, lequel elle me conseillait. Elle a hésité, m'a parlé de plusieurs et finalement je me suis arrêté sur celui-ci.

Benoît, commissaire de police, se réveille douloureusement. Une impression tenace de gueule de bois. Peu de souvenirs. Confusion. Froid. Il reprend ses esprits dans une cave, enfermé. Autour de lui des barreaux. Pourquoi cette belle jeune femme rousse, rencontrée la veille sur le bord d'une route où sa voiture était tombée en panne, le retient-elle prisonnier? 
Commence un huis clôt angoissant, dans le froid de décembre, au fond d'une cave. Un huis clôt au frontière de l'horreur, entre tortures, pressions, jeux de manipulation, folie. Quel crime veut-elle lui faire avouer?

Karine Giébel est forte. Elle me maintient sans cesse éveillée, avide de connaitre la suite de ses romans. J'aime ses personnages, attachants, ni tout noir ni tout blanc. Pas de bons entièrement bons. Nous avons tous une part d'ombre. 
Dans ce roman elle réfléchie aussi sur la frontière ténue entre bourreau et victime. Quand la douleur détraque. 
Un roman haletant, pleins de rebondissements.
De quoi ravir les lecteurs de thrillers.

lundi 16 mars 2015

La vie étonnante d'Ellis Spencer

La vie étonnante d'Ellis Spencer, 
Justine Augier, 
Actes Sud Junior, 144p, 
A partir de 11 ans.

Ellis Spencer a 11 ans. Elle vit dans une bulle, au 74ème étage de la tour Spencer. Dans ce futur, au Naol, les gens sont jugés sur l'espace social qu'ils occupent. Mur entiers d'invitations et de diplômes, de photos avec des leaders, affichent en permanence cette réussite. Au Naol on marche le dos droit, la poitrine fièrement bombée, la tête haute. On parle fort, tout le temps. Les enfants hyperactifs y sont les rois de la normalité. Alors Ellis, avec ses épaules voûtées, ses lunettes rondes, sa voix douce, sa passion pour le calme et la rêverie, fait partie des enfants à problème. Pas question pour elle d'aller à l'école tant qu'elle ne sera pas capable de s'adapter un tout petit peu.
Car dans ce monde hyper-connecté, on aime les gens hyperactifs. La rêverie, le silence et la lecture de livres y sont interdits. Plus les habitants sont occupés à faire du bruit et brasser de l'air, moins ils ont le temps de penser et de méditer. 
Mais Ellis se sent seule et voudrait être comme tout le monde. Pourtant en entrant à l'Accadémie du Succès où elle est censée s'adapter à la société dans laquelle elle devra évoluer à l'âge adulte, Ellis découvre qu'elle n'est pas la seule "Enfant à problème". Et si finalement les individualités et les différences pouvaient être une richesse?

Voici donc une dystopie bien sympathique pour les jeunes lecteurs. A l'heure des sagas qui n'en finissent pas, il est bien agréable de retrouver un roman en 1 volume qui offre une fin ouverte et laisse la part belle à l'imagination. 
Enfin un roman où toutes les clés ne sont pas données sur un plateau au jeune lecteur. 
Ce roman est plutôt court et rapide, ce qui permettra d'initier au genre de la dystopie les réfractaires à la lecture.
On s'attache facilement au personnage d'Ellis. Le monde dans lequel elle évolue grossit certains défauts de notre société, mais n'est absolument pas compliqué à comprendre. Nous sommes véritablement là dans un roman de SF pour les jeunes lecteurs ou ceux qui n'aiment pas trop lire. De quoi, sans doute, les accrocher et les transporter dans un genre qui fait aujourd'hui fureur. 

Danser les ombres

Danser les ombres, Laurent Gaudé
Actes Sud, Janvier 2015
256p.

Je n'avais jamais lu Laurent Gaudé. D'abord parce qu'on m'avait toujours dit que c'était un auteur magnifique, avec beaucoup de poésie dans l'écriture et que du coup ça me faisait un peu peur. Comme si c'était trop beau pour me toucher. Ensuite parce que les sujets de ses romans sont souvent des catastrophes ou des faits de sociétés graves. Et ça aussi ça me faisait peur. 
Mais finalement je remercie Babelio pour ce titre que je n'aurais jamais lu de moi-même.

Laurent Gaudé nous offre un roman choral en 2 parties. Dans la première on y découvre une galerie de personnages, tous un peu boiteux dans la vie, marqués par des coups du sort, des événements tragiques, des souvenirs difficiles. Chacun en lien les uns avec les autres. La majeur partie de ses personnages se retrouvent chez Fessou, un ancien bordel de Port-au-Prince, pour parler, échanger, réfléchir sur le monde, mais aussi rire et passer du temps entre amis.
Ce point central de leur vie, tenue par le Vieux Tess, va les attirer comme un aimant pour la seconde partie du roman. 
Car le 12 janvier 2010, en fin de journée, un terrible séisme de 7,3 de magnitude sur l'échelle de Richter frappe l'Ouest du pays et ravage Port-au-Prince. La terre s'ouvre, avale les bâtiments et les hommes. La terre devient une bouche qui a faim de la vie. Mais en Haïti le vaudou est encore très présent. Beaucoup ont encore les croyances de leurs ancêtres. Et quand la terre s'ouvre, quelle tue, elle recrache aussi les morts. 
La seconde partie du roman est donc construite autour de la catastrophe. Juste après le tremblement de terre, les hommes se serrent les coudes, s'entraident. Il creusent les gravas pour contrer la mort et extraire des vivants des ruines. Et les morts en profitent pour sortir, profiter des heures de liberté qui leur sont accordées. Car dans le chaos qui peut dire qui sont les morts et les vivants? Alors pendant quelques jours, les ombres, les morts, vont se mêler aux vivants et les aider. Profiter pour passer encore un peu de temps avec ceux qu'ils aiment. Profiter de l'odeur, de la sueur des hommes, de la poussière, de la chaleur. Profiter de la vie.

Ce roman est véritablement magnifique. Il y a un rythme musical dans l'écriture de Laurent Gaudé. Même les répétitions ont de l'importance. Comme des phrases qu'il scandent tel le refrain d'une chanson. Des mots marquants. 
Et puis quand on le lit on vit Haïti. On sent la moiteur, la chaleur étouffante qui écrase les corps. On sent la poussière blanche qui entre dans les poumons après les tremblements. On a envie de danser avec les vivants pour perdre les morts en route. On voit les bidonvilles de Jalousie et les maisons Gingerbread. Alors quand on regarde les photos après avoir refermé le livre, on a une impression de déjà-vu.
Ses mots nous transportent en Haïti. Dans la misère et la douleur. Mais aussi dans la vie et la joie. Parce que de tout on peut dire "C'était magnifique..."

vendredi 13 mars 2015

Le Voyant

Le Voyant, Jérôme Garcin, 
Gallimard, La blanche, 
Janvier 2015, 192p.


Pas vraiment un roman, plutôt un récit biographique qui nous raconte la vie et l'oeuvre de Jacques Lusseyran. Cet homme de lettres, devenu aveugle suite à un accident à l'âge de 8 ans, qui s'engage dans la Résistance dès la défaite de la France, arrêté par la Gestapo en 1943. Au retour de sa déportation à Buchenwald, il se met à écrire, puis quitte la France pour les Etats-Unis où il enseigne la littérature française, avant de mourir tragiquement à l'âge de 47 ans dans un accident de voiture sur une route de France, près de son village d'origine. 

Voilà un résumé très rapide de la vie de Jacques Lusseyran, que je ne connaissais pas du tout. Jamais lu, jamais entendu parlé de lui, et pourtant il a côtoyé les plus grands noms de la Résistance, mais aussi de la littérature et des arts de l'Après Guerre. Néanmoins, pas une ligne sur lui dans le dictionnaire.
Jérôme Garcin a donc voulu réhabiliter cette figure historique de la littérature française, mais aussi de la Résistance. Personnage qui semble avoir eu de l'importance dans la Résistance parisienne mais qui ne connu ni les honneurs, ni les médailles, et ne bénéficia d'aucun passe droit (l'Etat n'autorisait pas les manchots, cul-de-jatte et aveugles a passer les concours de la fonction publique, il ne put donc être professeur en France) à son retour de déportation. Il retrouvait, en sortant des camps, son statut d'handicapé, mais ne fut pas reconnu pour son parcours héroïque. C'est tout à l'honneur de Jérôme Garcin que de faire ce travail de réhabilitation sociale et historique de grande importance. Malheureusement je n'ai pas aimé la manière.

Je n'avais jamais lu Jérôme Garcin. Je ne connaissais pas son écriture. Est-ce toujours aussi pompeux?
Jérôme Garcin reproche à Jacques Lusseyran (un des rares reproches qui lui fait dans sa prose si peu neutre), d'avoir fait le panégyrique de Georges Saint-Bonnet (p143), et pourtant il semble se livrer au même exercice dans la rédaction de cette biographie. Tout y est élogieux. Jacques Lusseyran apparaît comme un grand héro, martyre oublié par l'Histoire de France. Ce pays pour lequel il a donné sa vie. Jérôme Garcin ne prend pas assez de recul, comme aveuglé par la grandeur de l'aveugle dont il nous narre l'histoire. Quand il parle de ses frasques avec les femmes, jamais il ne le juge, jamais il ne critique. Quand il parle de son admiration pour le gourou Georges Saint-Bonnet, il pense que Lusseyran était dans un état de faiblesse psychologique pour se laisser embobiner. Jamais il ne s'est trompé. Le fait que Lusseyran ait abandonné successivement ses enfants quand il changeait de femme? Le fait qu'il ne parle jamais d'eux? Juste "l'angle mort de sa vie" (p166). Et pourtant quand Jérôme Garcin parle des côtés positifs de Lusseyran, c'est avec emphase. Il ne cache pas sa grandiloquence, son admiration sans borne. Les termes sont élogieux. 
Comme si plus qu'une biographie, il nous offrait une hagiographie.

Les jeux de mots sur sa cécité sont aussi légion dans le texte. Cet homme qui voit mieux que n'importe qui, qui vit son handicap comme une chance. C'est trop.
Trop aussi les listes d'auteurs et de philosophes lus ou donnés à étudier par Lusseyran. Garcin nous en colle des tartines (quand ce n'est pas en adjectif, juste pour l'exemple p178 "C'est un rituel olfactif, dont le centre éternel et irradiant est le jardin clos et giralducien de Juvardeil."). J'ai eu parfois l'impression que son style n'était qu'un exercice, voir même de la poudre aux yeux pour nous montrer toute l'étendue de ses connaissances littéraires. Personnellement j'ai fini par trouver ça trop prétentieux, pompeux, et agaçant

De même que je me suis insurgée contre sa vision de la Shoah dans le cinéma américain (p93-94). Reprocher à Spielberg d'avoir filmer les camps d'exterminations dans La Liste de Schindler comme il a filmé Jurassic Park. Je ne suis pas d'accord avec cette critique. Reprocher à tous les cinéastes d'avoir "mis des images sur ce que même les nazis, soucieux de ne laisser trace de leurs crimes contre l'humanité, n'avaient pas voulu donner à voir", m'a révolté. Les nazis ont laissés des traces, photographies, images filmées, de leurs exactions et de l'extermination des juifs d'Europe. Nier l'existence de ces images reviendrait à ne pas porter foi en leur véracité. Et en cette année où l'on célèbre les 70 ans de la libération des camps, il est important de voir ces images pour se rendre compte des horreurs et ne pas les laisser se reproduire. Jérôme Garcin semble devenir aveugle comme son personnage. Il ferme les yeux. 

Je n'ai donc pas aimé la forme. Mais j'ai tout de même aimé le fond. J'ai trouvé la vie de ce romancier raté, mais grand érudit, résistant, et professeur passionné de littérature passionnante. Il a eu un parcours tout à fait atypique. Ses réflexions sur la lumière intérieure sont tout à fait touchantes, et donnent à réfléchir sur la manière dont on voit le monde, et dont on ne prends plus le temps d'admirer les petites choses. Il rejoint aussi, un peu, les volontés actuelles de nombres de contemporains à méditer et faire l'exercice de l'introspection pour mieux appréhender et comprendre le monde qui nous entoure. 

Vers la fin du livre, Garcin fait un parallèle entre le héro de son essai et son propre père:
"Une fois encore, une fois de plus, je pense à mon père, né à Paris quatre ans après Jacques Lusseyran, passé lui aussi par la khâgne de Louis-le-Grand, fou de littérature, amoureux de la langue du XVIIIe, éditeur accompli, mais écrivain empêché, dont la mort accidentelle en pleine nature, au printemps de 1973, à l'âge de quarante-cinq ans, dessine une ligne droite que je n'aurai jamais fini de vouloir prolonger dans des livres brefs peuplés de jeunes morts qui continuent de vivre, de lire, et d'écrire." (p 180). Et voilà, on comprends alors mieux le sens de ce livre. Ce n'est pas l'adulation de Jacques Lusseyran qu'il nous offre là, mais celle de son père. Cette figure paternelle qu'il idolâtre et qui est, dans son esprit, le miroir de ce héro de la Résistance. 

lundi 9 mars 2015

La nuit a dévoré le monde

La nuit a dévoré le monde, 
Pit Agarmen (Martin Page), 
J'ai Lu, Août 2014, 
192p.

Antoine Verney est un auteur de littérature sentimentale qui aime la solitude. Invité par une amie à une soirée dans son appartement parisien, il s'y rend. Mais mal à l'aise parmi ces convives bobo-intellos qu'il ne connait pas, il fuit et se réfugie dans la bibliothèque de son hôte, une bouteille comme alliée.
A son réveil le lendemain matin, les manteaux des invités sont encore là. Et pourtant, plus un bruit dans l'appartement. Avec une gueule de bois carabiné, Antoine sort de la bibliothèque pour explorer l'appartement. Et là l'horreur!
Carnage dans le salon. Du sang partout. Un cadavre sans tête au milieu du salon. Que s'est-il passé? 
Dehors c'est l'Apocalypse. Des hordes d'hommes et de femmes courent après d'autres. Des tirs retentissent. Des feux partout. Des accidents de voitures. Des morts au milieu de la rue qui se relèvent.
"Comment appelle-t-on des êtres qui ne s'arrêtent pas après avoir pris une dizaine de balles dans le corps et qui confondent les gens avec des sandwiches ? La réponse est évidente. Je ne suis pas du genre à me voiler la face. J'ai une devise depuis l'enfance : quand on pense au pire, on a souvent raison."
Antoine semble être le seul survivant à une attaque de zombies.
D'où sortent-ils? Qu'est-il arrivé? Nous ne le saurons pas. Nous sommes seuls avec Antoine. Il croyait fuir le monde et les gens, et se rends compte alors de ce qu'est la véritable solitude. Seuls avec des êtres qui n'attendent que sa sortie pour le dévorer.
Seul avec des livres et un rosier. 

Ecrit comme un journal intime, ce roman de Martin Page revisite donc le genre littéraire de la littérature de zombie. 
Véritable phénomène littéraire et cinématographique depuis quelques années, les zombies fascinent.
Ici nous avons de nouveau monsieur tout le monde confronté à une horde d'exterminateurs assoiffés de chair humaine qui ne sont même pas capable d'attraper un pot de confiture sur le haut d'une armoire. Mais ils ont beau être cons, ils n'en sont pas moins la nouvelle espèce dominante.
Mais dans ce roman on est loin du nanar. Ce roman renoue avec les premiers films de Romero sur le sujet. Les zombies sont le prétexte à nous offrir une satire sociale. Martin Page réfléchi sur la vacuité de notre monde, sur la solitude, le temps qui passe, mais aussi sur la mortalité de notre espèce et l'extinction de l'humanité. Aujourd'hui nous sommes dans le salon a discuter, rire et réfléchir sur des choses que nous jugeons importantes, mais qui n'ont plus aucun intérêt face à la fin du monde.
Toutes les données dématérialisées que nous partageons et créons tous les jours ne sont plus rien dans l'univers de ce roman. Ne restent que les choses tangibles comme les romans papier, les œuvres d'art. Antoine se remet même à la photographie sur pellicule. 


Un roman d'une grande force, qui nous fait vivre 6 mois d'angoisse au milieu d'un Paris infesté de zombies.